Un chorégraphe fait chavirer une malade d’Alzheimer...

Pendant une semaine, Thierry Thieû Niang a fait danser l’USLD de l’hôpital Charles-Foix, à Ivry-sur-Seine. À son contact, de nombreux malades d’Alzheimer ont retrouvé des émotions enfouies, dont Blanche Moreau... tombée amoureuse du chorégraphe. Interrogé par Gerontonews, ce dernier raconte ces instants de grâce captés par la caméra de Valeria Bruni-Tedeschi et Yann Coridian, dans un documentaire multiprimé et toujours visible sur Internet.

Les professionnels d’Ehpad auront sans doute déjà vu ou entendu parler du documentaire « Une jeune fille de 90 ans », diffusé le 7 juin sur Arte.

Blanche Moreau, 92 ans, d’abord atone dans une salle à manger, ne s’anime que pour repousser son assiette. Au bout d’une heure et demie de film, telle la Belle au bois dormant, elle apparaît transfigurée, sous le regard des co-réalisateurs, Valeria Bruni-Tedeschi et Yann Coridian.

La cause de ce petit miracle ? Thierry Thieû Niang un chorégraphe de 40 ans son cadet, qui, en seulement quelques jours, a gagné sa confiance et recueilli de nombreuses confidences, étonnantes de franc-parler et de lucidité, jusqu’à une déclaration d’amour pour le moins troublante.

Une surprise pour tous, car à l’origine, le documentaire visait à capter les séances de danses de l’artiste au sein de l’hôpital gériatrique Charles-Foix (AP-HP) d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). L’éclosion de l’émoi amoureux en a changé l’angle, raconte le chorégraphe à Gerontonews.

« L’hôpital m’a contacté suite à un travail que j’avais fait avec le Louvre, puis il a dégagé un petit budget pour une semaine d’atelier de danse avec une dizaine de personnes âgées » de l’unité de soins de longue durée (USLD), en janvier 2016, relate-t-il. En parallèle, la chaîne Arte commande un court portrait à la réalisatrice Valeria Bruni-Tedeschi.

Ni une ni deux, Thierry Thieû Niang lui propose de l’accompagner et la réalisatrice obtient en quelques heures les autorisations nécessaires et le consentement des résidents (ou de leurs familles). Thierry Thieû Niang salue notamment l’enthousiasme du Dr Amina Lahlou, cheffe de l’unité, qui a « mobilisé toutes les équipes » pour permettre le projet.

« Je prends le geste qu’on me donne »

« Mon temps de travail était réparti équitablement entre les personnes » et « toutes se sont ’éveillées’ en cinq jours », mais l’équipe du film a repéré au montage « la métamorphose » de Blanche Moreau, « une histoire d’amour qui est devenue une histoire de cinéma » et donc finalement, un documentaire.

Il faut voir le chorégraphe, comme en miroir, adopter les postures des résidents pour mieux les approcher, les apprivoiser. Provoquer une étincelle, plus qu’un sursaut, chez un vieux monsieur recroquevillé dans son fauteuil.

« Je prends le moindre geste qui me vient de l’autre, et je le transforme pour en faire de la danse », détaille Thierry Thieû Niang, qui précise bien n’être « ni médecin, ni éducateur ».

Certaines personnes le sollicitent pour « apprendre à [ses] côtés », mais l’artiste se défend d’avoir un « mode d’emploi ». Il dit « utiliser le geste au présent pour incarner quelque chose qui va créer un lien et du sensible ».

Le sensible jaillit dans les larmes soudaines d’une résidente que l’on croyait retranchée dans un monde inaccessible. Ce qui pose, à un moment, la question de l’éthique. « Peut-on montrer Madame Li pleurer ? On le peut, car on est dans le respect, dans la bonne distance », répond le chorégraphe.

« La maladie d’amour plus forte que la maladie d’Alzheimer »

L’émotion de Blanche Moreau est d’un tout autre ordre. Palpable dans son regard, ses sourires, lorsque pour les besoins de la chorégraphie, Thierry Thieû Niang la bouscule avec bienveillance, la soulève, l’amène même à le soutenir, lui, le temps d’une arabesque, elle qui n’abandonnait jusqu’ici jamais sa canne.

Une révélation pour la nonagénaire, sous le coup d’une « magie » jusqu’au « je t’aime » impromptu, donc, à destination du danseur. « Cela m’a troublé, on en a parlé » avec l’équipe soignante, « on s’est interrogés mais on a continué, en lien avec les médecins, car Blanche était vivante, sa maladie d’amour était plus forte que sa maladie d’Alzheimer, et c’était tant mieux », raconte Thierry Thieû Niang.

Une projection du documentaire a été organisée à l’USLD avec le personnel, les familles et les résidents. Blanche Moreau a réagi par « des sourires », mais elle a passé davantage de temps à s’assurer de la présence de Thierry Thieû Niang à ses côtés qu’à regarder l’écran.

Dans quelques scènes assez cocasses, le documentaire révèle son caractère bien trempé, qu’elle exprime davantage, aujourd’hui, auprès du personnel, assure l’artiste, retourné « plusieurs fois » depuis rendre visite aux résidents... dont ce 12 juin, jour de l’entretien avec Gerontonews.

Sur la dizaine de personnes filmées, six sont décédées. « Blanche s’est un peu affaiblie et elle ne me reconnaît pas toujours, mais elle est toujours autonome », détaille-t-il.

Une expérience difficilement réplicable

Le documentaire a moissonné de nombreux prix en festivals, en France et à l’étranger depuis un an. Sans surprise, le chorégraphe « croule sous les propositions » d’interventions en gériatrie... mais il tient à privilégier « une rencontre avec un service et du personnel soignant », et affirme qu’il ne souhaite ni « se répéter » ni se circonscrire aux Ehpad. Il travaille en effet « à la marge », dans son acception la plus large, dans les prisons, auprès d’adolescents autistes ou d’enfants handicapés.

Sans parler des « freins » rencontrés autour de l’institution : « Certains médecins n’ont pas voulu me rencontrer », car pour eux « je remettais leur travail en question », relate-t-il. Il s’est avéré compliqué pour certains soignants « de ne pas arriver à faire marcher Blanche Moreau trois pas » puis de savoir qu’elle était « grimpée » sur le dos du chorégraphe.

« Pourtant, on ne travaille pas du tout au même endroit. Ce que j’ai révélé chez Blanche n’a rien à voir avec la kinésithérapie. Cela se joue du côté du désir, et ce désir l’a remise en marche », souligne le chorégraphe.

« Il faut qu’on aille montrer le film en école d’infirmières, aux aides-soignants, montrer que donner un bras, la main, c’est déjà un geste poétique, un voyage. Il faut se laisser toucher par cela, regarder les gens comme des personnes, et pas comme des malades », même si le temps manque, encourage-t-il.

Le film bouleverse à la fois par sa délicatesse, mais aussi par la crudité avec laquelle les résidents sont filmés, révélant une vérité rare, non ripolinée.

Des corps en déliquescence, des peaux abîmées par les plaies. Des esprits tourmentés, comme Adélaïde, emplie de colère, berçant une poupée comme un fils décédé. Comme Gisèle, tristement « divorcée », et persuadée de fêter bientôt ses 24 printemps.

Qu’il s’agisse du coup de cœur de la « jeune fille » du titre ou du coup au cœur qu’il provoque sur le public, le documentaire se révèle, à double titre, foudroyant.

Claire Beziau - Gérontonews - 12 juin 2017

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