Thierry Thieû Niang « Le sensible au partage »

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en donnant la parole à des artistes. Après avoir publié l’été dernier une première série d’entretiens-portraits, nous renouvelons ce rendez-vous estival avec de nouveaux artistes qui se sont prêtés au jeu des questions réponses. Ici, Thierry Thieû Niang.

Danseur et chorégraphe, Thierry Thieû Niang travaille souvent à ces créations en compagnie d’autres artistes de différentes disciplines, et parfois même d’enfants, d’adolescents, de seniors amateurs, de détenus ou encore de personnes autistes. Depuis deux saisons, il épaule le metteur en scène Jean Bellorini au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, menant des projets d’actions culturelles au long cours, avec des publics locaux. Cette saison, il a notamment co-signé et partagé le plateau avec Anne Alvaro et Nicolas Daussy dans la pièce Voici mon cœur, c’est un bon cœur présenté au TGP Saint-Denis et au Festival d’Avignon.

Quels sont vos premiers souvenirs de danse ?

Mes grands parents dansant une valse ! Tous deux légers, droits, virevoltant, devenant tout à coup une femme, un homme, uniques et ensemble dans un mouvement au présent. Je ne les reconnaissais plus. Puis il y a eu les chorégraphies dans les émissions de variétés à la télévision que nous réinventions en famille et avec mes camarades au collège.

Qu’est-ce qui a déclenché votre envie de devenir chorégraphe ?

Des spectacles comme Le Regard du sourd ou Einstein on the Beach de Robert Wilson, Nelken de Pina Bausch vus pendant mes études à Strasbourg… Mais ce sont surtout des livres, des films, des tableaux, des sculptures, des musiques et évidemment des rencontres heureuses et fondatrices, comme avec Renate Pook, Odile Duboc, Hideyuki Yano et puis plus tard Mathilde Monnier, Daniel Larrieu, Claude Régy, Pierre Boulez, Pierre Guyotat et bien sûr Patrice Chéreau. Ces collaborations m’ont amené à travailler et à partager des projets de création autant avec des amateurs qu’avec des professionnels, des enfants et des adultes, au théâtre, à l’opéra, au cinéma et dans la danse, sans distinction, sans hiérarchie. Chercher un mouvement pour faire corps. Pour faire sens. Mais peut être c’est aussi le mouvement même de la vie avec ses événements, l’actualité et l’histoire, ses transformations et révolutions qui m’a fait danseur, car il y avait au creux de moi un manque de paroles pour dire l’injustice. Pour dire le monde et sa beauté. Aussi il me fallait faire un geste, un pas, une ronde. Et danser pour dire.

En tant que chorégraphe, quelle(s) danse(s) voulez-vous défendre ?

Je n’en défends aucune car je les accueille toutes. J’invite chacune et chacun, petit et grand, amateur et professionnel à inscrire le monde – le réel partagé – dans un mouvement dansé commun. Je suis allé danser au Vietnam, au Kenya, en Islande et même récemment dans des réserves autochtones au nord du Québec et toutes ces danses, je les ai reconnues. Elles étaient là nichées, mêlées à ma propre danse. Je veux que la danse reste concrète et qu’elle soit faite d’actions simples et manifestes, presque archaïques. J’invente une danse traversée de fluctuations et de suspensions rythmiques, de porosités et d’écarts poétiques, et surtout une danse faite d’imaginaires et d’états physiques pluriels. Il suffit d’un geste, d’un regard et l’espace s’ouvre.

En tant que spectateur, qu’attendez-vous de la danse ?

Là encore il n’y a pas d’attente ou d’espérance. Je vais au cinéma, au théâtre et à la danse mais aussi au concert, à l’opéra et dans les musées. À égalité et en joie. Et je me laisse surprendre et toucher. Je regarde, c’est-à-dire : je garde en moi ce que je vois et entends, comprends et ne comprends pas car même en tant que spectateur je reste au travail, actif, curieux, en pensée, en émotion et en énergie. Je reçois autant ce que je ne connais pas que ce que je découvre encore de l’histoire de l’art, de la pensée et des mondes. J’aime aussi beaucoup aller au cinéma ou au spectacle seul car c’est comme si je lisais un livre et c’est à la fois une aventure solitaire et collective, que j’aime raconter et partager avec d’autres.

À vos yeux, quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Il nous faut continuer à agrandir « le sensible au partage » dans tous les domaines et cela passe par les corps. Tous les corps. Il nous faut éprouver un geste du commun, l’élaborer et le reconstruire partout où c’est possible, dans les écoles, de la maternelle aux universités en passant par les collèges et lycées professionnels, dans les lieux de culture et les associations, dans les hôpitaux et les prisons avec et pour tous, toutes générations confondues. Je vérifie chaque jour que l’art peut apporter aux enfants, aux femmes et aux hommes de la joie et du plaisir, mais aussi des outils sensibles, critiques et citoyens nécessaires pour aborder les questions du monde, de l’intime et du lointain. Je sais que quand nous dialoguons avec d’autres imaginaires que les nôtres, nous accédons tous à une solidarité sensible et à l’acceptation de nouveaux points de vues pour inventer, créer et vivre ensemble.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

L’artiste, que je suis, ne joue aucun rôle particulier. Par contre, l’homme que je suis, partage ses droits et ses rêves avec tous, enfants et adultes dans la société et dans le monde. L’art et la culture pourraient créer davantage de lien. Trop souvent ils ne font que renforcer les clivages sociaux. Pourtant nous savons comment créer des synergies entre les institutions, construire des projets associant des partenaires aussi différents que des festivals, des compagnies de danse ou de théâtre, des musées et relier la culture au monde de l’éducation et au monde associatif. Mais pourquoi échouons nous encore à accueillir chacune, chacun dans les lieux de l’art ? Comment travailler ces questions en profondeur si les inégalités continuent de se creuser ? Qu’attendons-nous pour changer de dynamique, nos manières d’être et de faire pour développer les résidences et créations d’artistes dans toutes nos écoles et nos universités, pour encourager les pratiques artistiques de tous et pour faire vivre le dialogue entre les cultures au cœur de nos villes et de nos quartiers, de manière imaginative et conviviale ?

Comment voyez-vous la place de la danse dans l’avenir ?

Le mouvement dansé est du présent ! De l’instant fait de commencements. Je vois la danse et toutes les danses comme une puissance de vie, comme un dialogue poétique et politique avec le monde, ses cultures et ses imaginaires. Il nous faut accueillir au jour le jour les changements et les métamorphoses des formes, des identités, des espaces et des temps de représentation car chaque danse – spontanée ou écrite, proche ou lointaine – reste liée au vivant, à l’humanité qui sait nous rendre unique et joyeux.

Propos recueillis par Wilson Le Personnic - MaCulture - 3 août 2018 - Photo Vincent Josse

Voir en ligne : Retrouvez cet entretien sur le site de MaCulture

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