Sabine Prokhoris

Pour « Une douce imprudence », poème chorégraphique de et par Eric Lamoureux et Thierry Thieû Niang

Qu’est-ce qu’y m’veut ? J’fais d’mon mieux...

Deux enfants ? Deux hommes ? Deux présences, denses et légères, en perpétuel et inventif devenir. Deux, ici et maintenant avec nous ce soir-là, ces deux-là parmi des milliards. Alors c’est soudain aussi vous, nous, toi, moi, lui, elle, n’importe qui. Puisqu’il s’agit des tâtonnements, toujours en train de recréer le monde, de la rencontre.

N’importe qui, mais par eux, singuliers et pluriels. Et puis le monde entier, ses montagnes et ses terriers, ses plaines, ses cordillères, la mer, l’herbe, les animaux, les garçons, les filles, les dragons, et puis bien sûr, entre et avec et en tout cela, les infinis hybrides, ombres et traces, qui ne cesseront pas de danser. Après eux, après nous ; feu follets, fantômes bondissants de ce qui pourrait advenir – ainsi s’inachève, dans la pénombre, l’histoire sans fin donnée une heure durant à partager.

Perplexes, patients – vital apprentissage – , attentifs passeurs d’imaginaire, obstinés, dans la vaste aire de jeu qu’ils parcourent, figurent, défigurent, refigurent ; démultiplient ; le poème qu’ils font naître et scandent, respiré dans la houle murmurante des rythmes et des chants de Sisdel Endresen, berceuses, comptines, chants à danser, est aussi un conte : mille et une versions, mille et une nuits et jours.

Des bouts de couverture ; doux doudous, sages tissages, et fantasques. L’espace – tout l’inconnu informe et multiforme des univers à explorer – en est ponctué. Des radeaux, des cadeaux. Ce sont des îles, et des jouets, et d’île en île, de jeu en jeu, de strophe en strophe, le voyage, voyage vers soi/vers l’autre, par l’autre/par soi, pourra avoir lieu et lieux.

Le “ma” : ce qui en japonais signifie l’intervalle, l’espace, la durée, la distance. Tout à la fois ce qui sépare, et ce qui unit – le rythme même, cette aptitude à la métamorphose déliée. Le poème/conte de cette Douce imprudence serait alors une danse du “ma”. Douce, oui, car confiante en cette rythmique ouverte ; mais accidentée aussi, parcourue de tensions, brisée d’inaboutissements, qui se déclineront pourtant en autant de bifurcations fécondes, au risque pris du désaccordage. Ensemble/séparés, ils ne cesseront de tenter de fabriquer, de secréter, jusqu’à l’épuisement qui ne sera jamais pourtant renoncement, les improbables formes de l’“en commun”.

C’est donc une danse, une conversation dansée, filée, faisant de chaque seconde l’abri au creux duquel se nourrira la « résistance du fil » : la souplesse et la force de l’“en commun”, improbable et vital entrelacement des infiniment diverses singularités. « Résistance du fil » qui « ne réside pas dans le fait qu’une fibre quelconque le parcourt sur toute sa longueur , mais dans le fait que plusieurs fibres s’enveloppent mutuellement », écrit Ludwig Wittgenstein à propos du geste de filage. Cet enveloppement mutuel, c’est cela exactement qui fraye en eux, qui nous en font aussi le don, la possibilité, fragile et illuminante comme la flamme d’une bougie, d’un monde partagé. Enveloppement mutuel par le regard, l’écoute sensible, le corps à corps tumultueux et doux, relayé dans la ronde incessante de ces condensés d’“espace entre” : les indéchirables couvertures magiques, pareilles aux paroles en langue babélique des mélodies qui accompagnent, au sens le plus littéral de ce mot, les deux solitaires solidaires qui s’emparent du plateau. Déterminés à faire leur, et à nous donner le désir de faire nôtre, ce « sentiment d’une inévitable solidarité, de cette solidarité dans l’origine mystérieuse, dans le labeur, dans la joie, dans l’espérance, dans une incertaine destinée, qui unit les hommes les uns aux autres, et l’humanité tout entière au monde visible. » qu’évoque Joseph Conrad.

Qu’est-ce qu’y m’veut, celui-là ? J’en sais rien ! Mais tout de même, j’essaie, je cherche un diapason. J’fais d’mon mieux… Et vous ? Ne voudriez-vous pas entrer avec nous dans la danse. ? Essayez alors de voir ; de capter, même des bribes ; d’être là, tout simplement. Il y a tant et tant encore à déchiffrer…

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