Nova-Oratorio : la vie dans les plis d’un mouchoir de poche, en tissu de corps
Dans le cadre de « L’Autre Saison » du Théâtre National de Strasbourg
Claire-Ingrid Cottanceau, artiste plasticienne et actrice, Olivier Mellano, compositeur et interprète, se réunissent pour composer un objet dans une forme à la lisière du concert et de la performance. Passionnés l’un et l’autre depuis longtemps par la parole de Nova dans Par les villages, ils décident de lui donner vie dans ce projet tant plastique que musical : un cri d’espoir, la transfiguration d’un regard lucide sur le monde à la fois célébration vitale et aspiration spirituelle. Un chœur d’anciens est constitué dans chaque ville et accompagnera le projet. Il sera l’espace de résonance du poème et prolongera ses fulgurances à la lumière de la vieillesse.
Une femme nous regarde : longs cheveux blancs, pieds nus, en nuisette noire : elle porte le temps sur ses épaules et nous questionne de son regard direct et franc. Belle et sereine. D’autres personnes âgées vont se joindre à elle, entrant en scène, marchant, chacun à sa façon, sans jeu ni artifice, à la façon de danseurs de la vie. Des chaises rangées les accueillent comme support de leurs corps tranquilles ; ils se masquent chacun d’un mouchoir en tissu blanc : le tableau est saisissant. Autant de petits linceuls, de protection ; la nuque renversée, ils s’exposent, aveugles.
Puis, c’est un tsunami violent de bruit et de fureur qui s’abat, de sons ravageurs étourdissants qui nous fait entrer dans la danse. Déflagration et ouragan de lumières : le voyage sidéral a commencé : voyage ou balade poétique dans le temps. Une femme montée sur ses talons hauts, trace une diagonale de lumière, ses pieds la guidant dans cet univers noir, sombre, à peine dissimulé par la lumière sur les corps des figurants de cet acte premier.
Formant un chœur ancestral, berceau du théâtre, de la tragédie et de l’écriture choré-graphique, ils forment un groupe uni par la vie, les traces et signes de leur existence sur leurs physionomies : « Berceaux » de Gabriel Fauré qui entame d’ailleurs le spectacle, chanté de façon incertaine par une voix tremblante.
C’est beau et touchant. Encore un mouchoir pour étendre son visage à terre ou le sortir froissé de sa poche : un accessoire de tissu, objet intime, tout près du corps. La scénographie se borde de la mise en corps sensible de Thierry Thieû Niang, l’as des chœurs et des groupes d’amateurs, jeunes ou vieux, avides de mouvement, de sincérité, sans maladresse ni flagornerie. Chœur comme une respiration commune qui se fond dans le texte musical, poumon qui se remplit et se vise au rythme de la performance. Chœur changeant selon les géographies de résidence : 25 êtres de chair dans une compagnie éphémère, « cun panis » de la création, pain que l’on partage « in situ ». Avec les ingrédients locaux de proximité partagée ! Battements de cœur commun qui enveloppe l’espace, le borde comme dans un amphithéâtre.
Le texte file droit et nous entraîne dans une musicalité profonde, dressée par les touches de la guitare omniprésente qui hante la pièce. Le mouvement s’amplifie, déborde des marges et le chœur se fait précieux, enrobant les paroles, révélant les accents des mots, le phrasé du texte. Quelques petits gestes singuliers à la clef pour chacun des danseurs, une touche d’humanité, sobre, simple, mesurée.
Et le tout fonctionne dans l’harmonie, la tendresse, la poésie de Handke, servie ici par des diagonales, des espaces qui se croisent. Chacun transportant le sien, comme seul bagage.
Au final, la rangée de personnes âgées nous regarde puis ferme les yeux.
Rideaux : les oreilles n’ont pas de paupières...
Geneviève Charras - L’amuse-danse - 12 mars 2018
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