Blanche, au pays d’Alzheimer, entre absence et amour…
Dis, grand-père, avec qui elle danse, la vieille dame ?
Je ne regrette pas d’avoir consacré ma soirée de mercredi à Arte. Au moment de cliquer sur la chaîne, je m’étais demandé, l’espace d’un instant, s’il ne fallait pas être un peu maso, quand même, pour s’appuyer une heure et demie d’un documentaire sur la maladie d’Alzheimer. J’allais plonger dans ce décor qu’on a tous, un jour ou l’autre, découvert, le temps d’une visite à un vieux parent : des chambres à deux ou trois lits ; les cris déchirants et les pleurnichements qui s’en échappent ; ou bien au contraire le silence des longs couloirs où se croisent les fauteuils roulants que n’habitent plus que des fantômes ; le ballet des soignants, leur sourire et parfois leur impatience.
Je m’attendais à tout cela. Comme aux étiquettes à code-barre que les pensionnaires gardent au poignet ou à la cheville. Comme aux regards ou plutôt à l’absence de regard. Et tout cela, effectivement, traverse le documentaire de Valeria Bruni-Tedeschi et Yann Coridian. Et pourtant, l’idée que j’allais perdre mon temps ou seulement me faire du mal n’a fait que m’effleurer, dès les premières images elle a disparu grâce à l’héroïne du film et à son complice, le chorégraphe Thierry Thieû Niang.
Vous reviendrez souvent ?
Blanche ne connaît plus son prénom, du moins ne lui revient-il que par intermittence. Elle ne sait plus son âge, 92 ans, ni l’endroit où elle est née. Dans sa chambre ou dans le patio où les résidents se trouvent réunis, elle a l’air perdu, les joues creuses, les yeux dans le vague. Mais quand le chorégraphe paraît, se produit une sorte de petit miracle. Geste après geste, mot après mot, silence après silence, l’artiste apprivoise la vieille dame qu’on voit peu à peu se métamorphoser : elle abandonne sa canne, se laisser guider, enlacer, porter tel un enfant ou telle une jeune épousée. En une série de longs mouvements au ralenti, le couple ébauche une danse, sensuelle et respectueuse. Un sourire inonde le visage de Blanche et quel sourire : magnifique, rayonnant ! « Vous reviendrez souvent nous voir ? », s’inquiète-t-elle. Amoureuse de ce beau jeune homme, Blanche avoue l’être un peu. Les autres résidents, malgré les effets de la maladie, perçoivent ce lien unique qui se crée devant eux. Tantôt avec indulgence, tantôt avec un soupçon de jalousie.
Enfants et ados compris
Thierry Thieû Niang, de son côté, fait preuve de douceur et d’attention. On le devine tout surpris, lui-même, de ce qui se passe et de cette relation qui mène à la confiance et à l’apaisement. L’expérience ne résout évidemment pas tous les problèmes liés à la maladie d’Alzheimer. Elle permet cependant de l’aborder avec un autre regard. Ces personnes très âgées et très perturbées restent capables d’émotions et d’amour. En ce sens, le documentaire s’adresse à des publics de tous les âges, enfants et ados compris.
Les deux réalisateurs d’ « Une jeune fille de 90 ans » signent là un bijou d’humanité. Un reportage conduit avec de la bienveillance et du respect. Et de l’optimisme en prime.
Merci à notre consœur Caroline Coupat qui, dans La Croix du 7 juin, attirait notre attention sur ce rendez-vous d’Arte. Elle avait mille fois raison.
Yves Durand - Dis, grand-père - La Croix - 8 juin 2017
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