Avignon : Thierry Thieû Niang et Carmela Acuyo font danser l’indicible
Dans “Au cœur”, les enfants et adolescents mis en scène par Thierry Thieû Niang forment des tableaux évoquant les drames des réfugiés.
Passer du soleil ardent de l’après-midi à l’ombre de la chapelle des Pénitents-Blancs. Et se retrouver ailleurs… Plus que dans tout autre lieu du Festival, ces vieilles pierres gothiques nous invitent immédiatement à changer d’état d’âme. Et le voyage que propose tous les jours le chorégraphe Thierry Thieû Niang s’y trouve à son aise.
Ils arrivent simplement sur la scène tels qu’en eux-mêmes – tee-shirt, jean ou shorts, même si certaines filles portent, au début, un bleu de travail noir. Treize jeunes individus, de 7 à 17 ans, tous amateurs, recrutés sur le territoire du Grand Avignon dans les collèges, lycées, foyers ou centres d’apprentissage, au fil d’un processus de plusieurs semaines. Une petite fille voisine avec un jeune ado, un grand costaud avec deux grandes perches, et tous ensemble font une ronde de tempéraments différents. On sent bien qu’ils apprivoisent la scène à pas prudents, sortant peu à peu de leurs gangues à force de se tourner autour, de se croiser, de se regarder. Ils se touchent peu. Et le contact sera seulement de lentes empoignades.
Bien des images nous arrivent, passant à travers ces corps qui parfois se regroupent ou s’éparpillent. Quand la petite fille s’allonge tête collée au sol, et paraît si lourdement abandonnée, les corps gisant sur les rives de la Méditerranée sont convoqués, et la photo du petit garçon mort connue du monde entier s’invite immédiatement.
Sincérité
Il n’y a rien de racoleur ici. La sincérité de la démarche donne toute sa force au spectacle : le sujet a été peu à peu forgé par les jeunes amateurs. Représenter l’errance, la perdition, la séparation ou le regroupement malgré tout est leur choix, même si la sculpture lumineuse du plasticien Claude Lévêque – une barque de fils tordus dont les passagers semblent aussi la structure – apporte ici une valeur symbolique.
Les tableaux que l’on n’oubliera pas sont les leurs, bien vivants sur scène. Cette jeune fille debout tournant lentement comme une derviche sur qui chacun entasse un vieux vêtement, finissant comme une sculpture-totem est le symbole de tous les réfugiés au monde. Un violoncelliste est le repère autour duquel tous pivotent. Mais sa voix se tait, à la fin, pour laisser s’envoler la voix claire de la petite fille. Installée devant, bien en face de nous, elle nous adresse ces mots écrits par la romancière Linda Lê, invitée dans l’aventure par Thierry Thieû Niang : « Qui suis-je pour toi ? Un oiseau tombé de l’arbre ? Ton enfant ? » Question que l’on emporte ensuite, une fois ressortie. À nouveau sous le soleil dardant…
Emmanuelle Bouchez - Télérama - 12 juillet 2016 / Photo Christophe Raynaud de Lage
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Ovni rêveur, le corps éparpillé dans la têteThéâtre de Lorient