Ariane Mnouchkine

Metteur en scène, fondatrice du Théâtre du Soleil

Pour Ariane Mnouchkine, metteur en scène, fondatrice du Théâtre du Soleil, il faut ouvrir les perspectives du théâtre et faire valoir sa richesse. De plus, il faut que le gouvernement agisse pour mettre l’éducation artistique au cœur de l’école.

La polémique récurrente tous les trois ans autour des nouvelles nominations à la tête des centres dramatiques nationaux ou d’autres prestigieuses maisons, m’indifférerait si elle ne m’étonnait pas quand même un tout petit peu.

En effet, on peut regretter, être attristé de voir partir d’excellents directeurs d’institutions théâtrales. On peut se réjouir, s’inquiéter ou même s’affliger d’en voir d’autres accéder à ces responsabilités, mais, que voulez-vous, c’est la règle du jeu, et lorsque l’on signe un contrat avec l’État, ou avec quiconque, on sait, dès le début, que les deux parties auront le droit de ne pas renouveler ce contrat.

Oui, c’est la règle du jeu. Comment se fait-il qu’elle soit si souvent oubliée ? On peut rouspéter, pleurer, se faire plaindre et consoler par ses amis, mais en faire un litige est ridicule. On est nommé, souvent on est renommé, renommé encore une fois, et puis un jour on ne l’est plus, c’est quelqu’un d’autre. On est élu. On ne l’est plus. On est ministre. On ne l’est plus.

Mais, cette fois-ci, par-dessus le marché, et en vérité c’est cela qui jette le grand trouble, des femmes arrivent aux affaires. Déjà ? ! Trop tôt s’écrient certains, et même certaines. C’est toujours trop tôt pour les femmes. Elles ne sont pas prêtes. Elles ne sont jamais assez prêtes. On risque de nommer des incompétentes.

Oui. C’est vrai. C’est même ça, l’égalité. Depuis des siècles, d’innombrables fois, on a nommé à d’innombrables postes, d’innombrables hommes incompétents. Alors, même si, aujourd’hui, parmi toutes celles qui vont diriger ces entreprises avec humanité, courage, force et talent, le respect de la parité laisse accéder à la direction d’une institution théâtrale une femme qui se révèle sans vocation réelle, cela ne me paraîtra pas justifier ce remue-ménage ni ces cris d’orfraie.

Peut-on maintenant parler d’autre chose que de ces institutions si convoitées ? A-t-on le droit, s’il vous plaît, de désirer autre chose ? A-t-on le droit, quand on a 20 ans, d’espérer autre chose que diriger ces paquebots, ces monuments, fort honorables et nécessaires par ailleurs, mais où s’exercent si puissamment les règles de la société telle qu’elle est, avec ses corporatismes, ses rigidités, ses hiérarchies, ses schémas, ses lourdeurs, ses résignations, ses impossibilités.

A-t-on le droit, quand on a 20 ans (ou 75), de penser que faire du théâtre ce n’est pas seulement inventer, produire de beaux spectacles, mais c’est aussi inventer une nouvelle façon de les produire, ensemble, et pour cela chercher, chercher encore et toujours une nouvelle et vraie façon de vivre, ensemble.

Avec confiance. Ensemble. A la recherche de l’égalité. Ensemble. A la recherche du théâtre. Ensemble. A la recherche du progrès. Ensemble. A la recherche de l’humanité. Parce que, sachons-le, c’est cela que veulent nos enfants.

Or, pour cette grande quête artistique et humaine, il faut de tout. De grands paquebots bien sûr, pour veiller au grain, mais aussi toute une nombreuse flotte de petits voiliers versatiles et téméraires avec à leur bord des équipages infatigables, aventureux et passionnés par l’art du théâtre et le service du public.

De jeunes artistes, insensibles au poison de la résignation économiste, mais déterminés à changer le monde avec le meilleur outil qui soit pour cela, l’art en général, et le théâtre, en particulier. Donc, voilà, j’avoue que je me contrefiche des nominations. Mais parmi tant de questions à poser à la gauche, j’en poserai déjà deux.

Aujourd’hui, sous la gauche, quand on a 28 ans et qu’on commence à avoir fait ses preuves, va-t-on enfin avoir le droit ne pas devoir choisir entre la disette et un centre dramatique national (CDN) ?

L’autre, je la répète souvent, car elle est primordiale à mes yeux. Aujourd’hui, sous la gauche, nos deux ministres de la culture et de l’éducation nationale vont-ils, de concert, mettre l’éducation artistique au cœur de l’école et, pour ce faire, vont-ils avoir, ensemble, le courage politique et la force d’âme de définir les vraies hiérarchies, sans se plier à celles que leur recommandent les entreprises ?

Moi, je l’espère encore, mais…

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