Le « Coma » de Guyotat, lu par Chéreau, pour boucler la boucle avec poésie et fragilité
La cage de scène à nu, une chaise. C’est par un geste de théâtre simple et essentiel que Patrice Chéreau a clos le Festival d’Avignon, 67e du nom, vendredi 26 juillet. Le metteur en scène, qui a triomphé au Festival d’Aix-en-Provence avec sa sublime Elektra (Le Monde du 12 juillet), a offert au public chanceux de cette soirée unique – à tous les sens du terme, même si le spectacle, créé au Théâtre de l’Odéon en 2009, a un peu, trop peu, tourné – un moment de profonde émotion en lisant-incarnant Coma, de Pierre Guyotat.
Chéreau est arrivé sur la scène le plus sobrement du monde, pieds nus, en chemise grise et pantalon noir. « Je dédie cette soirée à Valérie Lang », a-t-il dit sans une once de pathos, en hommage à la comédienne défunte. Puis il a commencé la « lecture » de ce texte extraordinaire qu’est Coma, signé par Guyotat en 2006. Une « lecture » comme le metteur en scène en offre de temps en temps, depuis l’an 2000, avec Fiodor Dostoïevski ou Hervé Guibert : dans l’incarnation d’un texte, d’une langue – qui sont d’ailleurs d’autant plus matérialisés que Chéreau garde toujours les feuilles de papier à la main –, et pas dans celle d’un personnage.
C’est d’autant plus réussi que Coma, pour être un grand texte, est nettement plus accessible que d’autres livres de son auteur, tout en restant dans le déploiement d’une langue absolument inouïe. Pierre Guyotat y raconte, de son écriture charnelle, cosmique, organique, la crise, l’effondrement qui a failli l’emporter, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, aux alentours de ses 40 ans – « un âge que, dès l’adolescence, j’avais décidé de ne pas dépasser », écrit-il.
Coma est surtout un magnifique autoportrait d’artiste, de son rapport à l’écriture qui « mâche du verbe et de la semence », à l’œuvre qui « est là, sous doigts », aux voix « qu’il faut qu’ libère de entrailles ». « Plus j’interviens physiquement dans la langue, plus j’ai la sensation de vivre ; transformer une langue en verbe est un acte volontaire, un acte physique. Un débat entre littérature et vie, oui, peut-être, mais pas entre ce que moi j’écris et la vie ; parce que c’est la vie, ce que je fais. »
Humanité offerte en partage
Patrice Chéreau porte cela avec une fragilité, une humanité offerte en partage, une retenue qui oblige à tendre l’oreille, comme s’il s’adressait à chaque spectateur en particulier.
Alors il vous emporte, ce récit d’une renaissance fragile et lumineuse, parce que Pierre Guyotat parle comme personne de la douleur de vivre et du bonheur d’être au monde, d’y faire acte de présence, dans la simple contemplation d’une petite tortue qui vient délicatement s’inviter sur la page en train de s’écrire, par exemple. Mais aussi de la famille, de la mort, du sexe et de la liberté qui réside dans le fait de s’être toujours tenu à distance « de la richesse et du luxe » réservés à quelques-uns, et qui sont toujours restés à Pierre Guyotat « insupportables ».
Et puis, à la fin, à l’évocation, dans Coma, des ouvriers maghrébins dans leurs baraquements, sont revenus des échos de Par les villages, monté par Stanislas Nordey dans la Cour d’honneur du Palais des papes. Une boucle s’est merveilleusement bouclée entre le début de ce Festival d’Avignon et sa clôture, entre le poème dramatique de Peter Handke et le récit poétique de Pierre Guyotat. Deux immenses écrivains contemporains ont embrassé cette dernière édition signée par Hortense Archambault et Vincent Baudriller. Et ça, c’était bien.
Fabienne Darge - Le Monde - 27 juillet 2013
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