L’Enfant que j’ai connu

Texte de Alice Zeniter (Editions de L’Arche) et mise en scène de Julien Fisera

L’enfant que j’ai connu

Photo : Simon Gosselin

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L’enfant que j’ai connu est une commande passée par le metteur en scène Julien Fisera de la compagnie Espace commun à l’autrice Alice Zeniter, pièce sur l’engagement et la violence, la transmission parent-enfant, et l’incapacité de l’adulte à mettre en cohérence ses principes.

Soit le parcours et la renaissance d’une mère, Nathalie Couderc, dont Cédric, le fils de dix-neuf ans, décède lors d’une manifestation, à l’issue d’une altercation avec les forces de l’ordre. Le policier coupable bénéficie d’un non-lieu.

A la sortie du tribunal, la mère prend la parole mais n’appelle pas au calme, nommant et invectivant l’état insurrectionnel du pays, épousant la cause filiale qu’elle ne comprenait guère jusque-là, pensant que son fils, d’une occupation de zone à défendre (ZAD) à une autre, par exemple, ne suivait que le chemin de sa jeunesse, quête de l’idéal d’un monde forcément meilleur.

L’enfant que j’ai connu est un monologue brûlant sur l’état de la France aujourd’hui, en nos temps bousculés, porté par la comédienne Anne Rotger. La parole se déploie entre la confession, le cri de colère et l’adresse à un fils disparu. La situation offre à la mère l’occasion inopinée de sa propre prise de conscience, celle d’examiner le parcours militant de son fils et son cheminement à elle.

Julien Fisera note quelques figures actuelles d’inspiration pour le fils : Rémi Fraisse, assassiné au barrage de Sivens en 2014 ; Carlo Giuliani, tué par les policiers italiens lors des manifestations anti-G8 à Gênes en 2001 ; Clément Méric, assassiné par des jeunes d’extrême droite le 5 juin 2013 ; Antonin Bernanos, militant d’extrême gauche condamné à 3 ans de prison après l’incendie d’une voiture de police en 2016 au cours d’une manifestation anti-« Loi Travail El Khomri ».

Les exemples, hélas, ne manquent pas de ce qu’on appelle communément les bavures policières.

Médecin, Nathalie estimait qu’elle était déjà pleinement engagée dans les remous de la société, quand son fils lui reprochait de se départir assez vite de toute responsabilité civique et citoyenne :

« Moi, je pouvais… Je pouvais oublier les problèmes. Ou plutôt, quand je me représentais les problèmes, ils m’apparaissaient comme à la périphérie de ma vie. Toujours ceux des autres avant d’être les miens. Je pouvais décider de dévier du confort de ma vie pour m’occuper des problèmes. Pour m’occuper des autres. Je le faisais. Parfois. Ou je l’avais fait. Mais si je me tenais là, par exemple, dans le salon, sur le canapé – un canapé clairement plus joli que celui-là -, eh bien ma vie n’était pas pétrie de ces problèmes. ..Je ne sais pas si c’est clair. »

Pour Cédric, en échange, la liberté amputée, la violence et l’injustice étaient partout. Sa mère prend conscience que la raison et le bon jugement étaient finalement du côté du fils, elle qui croyait dans sa naïveté qu’en tant que blanc, blond et bourgeois et de vie relativement aisée et protégée, Cédric aurait dû échapper à toute crainte et à toute menace de dérive de violence. En d’autres termes, les autorités auraient jamais dû s’en prendre à lui – innocence bien-pensante.

Le texte d’Alice Zeniter fait écho à l’air du temps, complaisant avec les revendications obligées d’une jeunesse sincère et authentique qui se cherche et milite pour la justice et l’égalité, la liberté et la fraternité, des valeurs universelles qu’elle se doit de partager et de défendre sans hésitation.

Or, dans cette perspective du Bien d’un côté et du Mal de l’autre, des Jeunes d’un côté et des Dépositaires de l’autorité de l’autre, la maturité des adultes – certes trop indifférents ou inutilement affligés – est mise à mal, fautive, épinglée de fait par l’appartenance générationnelle.

Ce propos un peu binaire est transcendé sur la scène par la magnifique prestation d’Anne Rotger, investie par son rôle de mère qui cherche à comprendre l’inouï et l’insensé, à travers une sensibilité à fleur de peau, des mouvements et des déplacements sur la scène, allées et venues d’infortune et de perdition, issues d’un sentiment d’abandon et d’absurdité inadmissible. Cette geste faussement incontrôlée sur la scène est savamment chorégraphiée par Thierry Thieû Niang.

Dans le bel espace net de François Gauthier-Lafaye, sous les lumières de Jean-Gabriel Valot, la comédienne élève la voix, s’apaise, déplie arguments et commentaires, humble et modeste dans sa posture de quête, et dénonçant sa prétendue assurance passée au poste de pouvoir maternel.

Elle cumule et inventorie sur le plateau nu, photos, vêtements, objets et jouets qui jalonnaient la vie de son fils. Elle-même se vêt et se dévêt de tenues rangées dans des sacs de papier kraft ou de boutique de prêt-à-porter, épousant telle silhouette féminine juvénile ou telle autre, colorée et pétillante de vie et d’enthousiasme scintillant, comme si elle devenait une camarade de son fils ou son fils même – copine, amie ou amante. Les costumes seyants reviennent à Benjamin Moreau.

La mise en scène de Julien Fisera est un objet lumineux, en dépit des ombres évoquées sur le monde, à l’écoute d’une parole juvénile qu’on ne prend guère le temps d’honorer suffisamment.

Tact et pertinence d’un spectacle où brille l’actrice Anne Rotger à la belle insolence railleuse.

Véronique Hotte - Hottello - 23 novembre 2021

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